Le dispositif des Certificats d’Économies d’Énergie (CEE) traverse actuellement l’une des phases de transformation les plus importantes depuis sa création. Initialement conçu pour accélérer la réduction des consommations énergétiques en France, ce mécanisme a permis, au fil des années, de financer des millions d’opérations de rénovation. Toutefois, son succès quantitatif s’est accompagné de dérives, de fraudes et d’une hétérogénéité importante dans la qualité réelle des économies d’énergie générées.
Face à ces constats, les pouvoirs publics ont engagé depuis 2024 une réforme progressive mais profonde du dispositif. L’objectif est désormais clairement affiché : recentrer les aides sur des équipements réellement performants, renforcer les contrôles, et aligner les CEE avec les ambitions climatiques nationales, notamment la décarbonation rapide du parc tertiaire.
Le secteur tertiaire, qui représente une part significative de la consommation énergétique nationale (bureaux, commerces, établissements de santé, bâtiments publics, enseignement, logistique), se retrouve au cœur de ces évolutions. Les décisions réglementaires prises au cours de l’été et de l’automne viennent profondément modifier les règles du jeu pour les maîtres d’ouvrage, exploitants et gestionnaires immobiliers.
Création de nouvelles fiches, suppression de dispositifs jugés obsolètes, durcissement des critères d’éligibilité, hausse massive des volumes de CEE pour la prochaine période : ces changements nécessitent une lecture attentive et une anticipation stratégique. Cet article propose une analyse détaillée et exhaustive de ces évolutions, afin de permettre aux acteurs du tertiaire de mieux comprendre les enjeux et d’optimiser leurs projets de rénovation énergétique.
Une réforme progressive du dispositif CEE : pourquoi autant de changements ?
Depuis plusieurs années, le dispositif CEE fait l’objet d’une attention croissante de la part des autorités publiques. Si les volumes de certificats délivrés ont fortement augmenté, certaines opérations ont montré des résultats décevants en matière d’économies d’énergie réelles. Par ailleurs, des pratiques frauduleuses ont été identifiées, nuisant à la crédibilité globale du mécanisme.
Les réformes engagées poursuivent plusieurs objectifs structurants :
- Éliminer les opérations à faible impact énergétique réel
- Supprimer les effets d’aubaine, notamment pour des équipements déjà largement diffusés
- Renforcer la traçabilité et la fiabilité des opérations financées
- Orienter les aides vers les technologies bas carbone
Dans ce contexte, le chauffage des bâtiments tertiaires est identifié comme un levier prioritaire. Il représente à lui seul une part majeure des consommations finales et des émissions de CO₂. Le remplacement des chaudières fossiles par des systèmes performants constitue donc un axe central de la politique énergétique.
Trois nouvelles fiches CEE structurantes pour le chauffage et la géothermie
Le 75e arrêté, publié le 9 septembre, marque une étape déterminante dans l’évolution des aides CEE dédiées au chauffage tertiaire. Il acte la suppression d’une fiche historique et introduit trois nouvelles références, plus cohérentes avec les objectifs de performance énergétique et environnementale actuels.
Suppression de la fiche BAT-TH-113 : une rationalisation nécessaire
La fiche BAT-TH-113, utilisée jusqu’alors pour certaines installations de pompes à chaleur, est supprimée. Cette décision ne traduit pas une réduction des aides, mais plutôt une volonté de clarifier et de spécialiser les dispositifs.
En pratique, la fiche BAT-TH-113 regroupait des technologies hétérogènes, rendant l’évaluation des gains énergétiques parfois imprécise. Sa suppression permet de la remplacer par des fiches plus ciblées, intégrant des critères techniques plus exigeants.
BAT-TH-163 – Pompe à chaleur air-eau : une solution clé pour la rénovation tertiaire
La fiche BAT-TH-163 concerne l’installation de pompes à chaleur de type air-eau dans les bâtiments tertiaires. Ce type d’équipement capte les calories présentes dans l’air extérieur pour les restituer à un circuit de chauffage hydraulique, alimentant radiateurs, planchers chauffants ou réseaux de chauffage existants.
Les PAC air-eau sont particulièrement adaptées aux projets de rénovation, car elles permettent souvent de conserver une partie des installations existantes, limitant ainsi les coûts et la complexité des travaux.
Le point central de cette nouvelle fiche réside dans la mise en place d’un coefficient de bonification de 3 lorsque l’installation remplace une chaudière fonctionnant :
- au charbon
- au fioul
- au gaz
Cette bonification multiplie par trois le volume de CEE généré, ce qui améliore significativement l’équilibre économique du projet. Elle traduit une volonté claire d’accélérer la sortie des énergies fossiles, tout en soutenant une technologie mature et largement maîtrisée.
Pour les bâtiments tertiaires de taille moyenne, la PAC air-eau constitue souvent une première étape pertinente dans une stratégie de transition énergétique progressive.
BAT-TH-164 – Pompes à chaleur eau-eau et eau glycolée-eau : la haute performance énergétique
La fiche BAT-TH-164 cible des technologies de pompes à chaleur plus avancées : les systèmes eau-eau et eau glycolée-eau. Contrairement aux PAC air-eau, ces équipements exploitent une source de chaleur à température plus stable, comme une nappe phréatique, un plan d’eau ou un champ de capteurs enterrés.
Cette stabilité permet d’atteindre des coefficients de performance (COP) nettement supérieurs, garantissant :
- des consommations électriques réduites
- une meilleure fiabilité sur le long terme
- un confort thermique constant
Dans le cadre du remplacement d’une chaudière fossile, cette fiche bénéficie d’un coefficient de bonification de 4, reflétant la très haute efficacité énergétique de ces systèmes.
Ces solutions sont particulièrement adaptées aux grands bâtiments tertiaires, aux sites à usage intensif et aux projets de rénovation globale. Bien que l’investissement initial soit plus important, les gains énergétiques et la réduction des coûts d’exploitation rendent ces projets particulièrement pertinents sur le long terme.
BAT-TH-162 – Géothermie : un soutien inédit pour une énergie locale et décarbonée
La création de la fiche BAT-TH-162 dédiée aux systèmes géothermiques constitue l’un des points les plus marquants de la réforme. La géothermie permet d’exploiter l’énergie naturellement présente dans le sol pour assurer le chauffage – et souvent le rafraîchissement – des bâtiments.
Cette technologie présente de nombreux avantages :
- Très faible émission de gaz à effet de serre
- Performance énergétique stable toute l’année
- Durée de vie élevée des installations
Pour le remplacement d’une chaudière au charbon, au fioul ou au gaz, la fiche BAT-TH-162 bénéficie d’un coefficient de bonification exceptionnel de 5. Ce niveau de soutien traduit la volonté des pouvoirs publics de massifier les projets géothermiques dans le tertiaire, malgré leur complexité technique et administrative.
Cette fiche ouvre des perspectives nouvelles pour les collectivités, les gestionnaires de patrimoine et les acteurs du tertiaire souhaitant s’inscrire dans une démarche de neutralité carbone.
À noter : ces trois nouvelles fiches entreront en vigueur le 1er janvier 2026, ce qui laisse une période stratégique pour anticiper les études, audits et montages financiers.
Fiches CEE modifiées ou supprimées : des ajustements ciblés
Éclairage tertiaire – Fin de l’éligibilité des halogènes
La fiche BAT-EQ-127, relative aux opérations d’éclairage, évolue avec l’exclusion du remplacement des lampes halogènes. Cette décision repose sur un constat simple : les halogènes sont déjà largement retirées du marché et leur remplacement ne génère plus d’économies d’énergie significatives.
Désormais, les aides se concentrent sur des opérations de modernisation globale des systèmes d’éclairage, intégrant des solutions LED performantes et des dispositifs de pilotage intelligent.
Chauffage gaz – Suppression des fiches BAT-TH-140 et BAT-TH-141
Le 73e arrêté, publié le 22 août, supprime les fiches BAT-TH-140 et BAT-TH-141, qui concernaient des pompes à chaleur fonctionnant encore partiellement au gaz. Cette suppression s’inscrit dans la continuité de la loi DDADUE du 30 avril 2025.
Le message est sans ambiguïté : les technologies reposant sur les énergies fossiles, même indirectement, ne constituent plus une priorité pour les aides publiques.
BAT-TH-142 – Déstratification de l’air : des conditions renforcées
La fiche BAT-TH-142, relative aux systèmes de déstratification de l’air, est modifiée afin d’exclure les entrepôts logistiques, réserves et locaux de stockage. Ces bâtiments présentent souvent des besoins de chauffage limités ou inexistants.
Les contrôles sont renforcés et s’appliquent aux opérations engagées depuis le 1er août, afin de garantir la pertinence énergétique des projets soutenus.
CEE et financements complémentaires : une approche globale indispensable
Les CEE ne doivent pas être envisagés comme une aide isolée. De nombreux autres dispositifs peuvent être mobilisés en complément, tels que le Fonds vert, les mécanismes d’Intracting ou encore le programme EduRénov pour les établissements scolaires.
Une approche globale du financement permet de réduire significativement le reste à charge et d’améliorer la rentabilité des projets de rénovation énergétique.
Vers une hausse historique des volumes de CEE à partir de 2026
La cinquième période des CEE (2022-2025) s’achève à la fin de l’année. À compter du 1er janvier 2026, la sixième période (2026-2030) prendra le relais avec un volume d’obligation rehaussé de 27 %.
Le volume annuel atteindra 1 050 TWhc, soit 5 250 TWhc sur l’ensemble de la période, contre 3 100 TWhc sur la période précédente.
Des critères plus stricts pour sécuriser le dispositif
Cette augmentation s’accompagne de nouvelles exigences, notamment l’introduction d’un taux de rentabilité interne minimal et d’un reste à charge minimal pour le bénéficiaire.
L’objectif est d’améliorer la qualité des opérations financées, de réduire les fraudes et de renforcer la crédibilité du dispositif.
Audit énergétique : le point de départ incontournable
Dans ce contexte réglementaire de plus en plus exigeant, l’audit énergétique s’impose comme l’outil central de toute stratégie de rénovation performante. Il permet d’identifier les gisements d’économies d’énergie, de prioriser les actions et d’optimiser le recours aux aides disponibles.
Anticiper les évolutions du dispositif CEE et structurer ses projets dès aujourd’hui constitue un levier décisif pour améliorer durablement la performance énergétique des bâtiments tertiaires.
En conclusion, les évolutions récentes du dispositif des Certificats d’Économies d’Énergie traduisent une transformation profonde de la politique de soutien à la rénovation énergétique. Pour le secteur tertiaire, ces changements représentent à la fois des contraintes supplémentaires et de nouvelles opportunités.
La création de nouvelles fiches dédiées aux pompes à chaleur performantes et à la géothermie, combinée à une hausse significative des volumes de CEE à partir de 2026, ouvre la voie à des projets ambitieux, à condition d’être correctement préparés.
Dans un environnement réglementaire de plus en plus exigeant, la réussite des projets passera par une approche structurée, fondée sur l’audit énergétique, la priorisation des actions et la mobilisation intelligente des dispositifs de financement. Pour les acteurs du tertiaire, anticiper dès maintenant ces évolutions est un enjeu stratégique majeur pour conjuguer performance économique, conformité réglementaire et transition énergétique.









