Réunie mardi en conseil d’administration, l’Agence nationale de l’habitat (Anah) a fixé sa trajectoire pour 2026 : financer des travaux de rénovation énergétique d’ampleur dans 120 000 logements, sous réserve de l’adoption du budget de l’État. Un objectif présenté comme un cap de continuité après une année 2025 marquée par les tensions, mais déjà fragilisé par l’existence d’un stock important de dossiers non instruits et par des arbitrages budgétaires serrés.
Un objectif chiffré, mais dépendant du vote du budget
Le premier élément mis en avant par l’Anah est une condition incontournable : sans vote du projet de loi de finances (PLF) pour 2026, l’ensemble du dispositif sera suspendu. Cette mention, explicite, rappelle la vulnérabilité d’un système d’aides devenu central dans la transition énergétique, mais dont la continuité reste tributaire du calendrier parlementaire et des arbitrages budgétaires de l’État.
Dans le détail, l’objectif des 120 000 rénovations globales se répartit ainsi :
- 68 000 rénovations de logements en copropriété ;
- 52 000 rénovations de logements individuels.
Cette répartition souligne l’importance accordée au parc collectif, généralement plus complexe à rénover (prises de décision plus longues, contraintes techniques, coordination de multiples acteurs), tout en maintenant un volume significatif pour les maisons individuelles, où la décision de travaux est souvent plus rapide mais où le coût reste élevé pour les ménages.
Réouverture du guichet MaPrimeRénov’ à tous les ménages au 1er janvier
Conformément à l’annonce du ministre du Logement Vincent Jeanbrun, le guichet des demandes d’aides pour les rénovations globales doit rouvrir à tous les ménages au 1er janvier 2026. L’objectif affiché est de sortir d’une logique d’instabilité, et de redonner de la lisibilité aux ménages comme aux entreprises du bâtiment.
Cependant, cette réouverture reste conditionnelle : sans approbation du PLF 2026, le dispositif serait suspendu. Autrement dit, la promesse d’un guichet accessible en continu repose d’abord sur la solidité du cadre budgétaire adopté en amont.
Le passif de 2025 : 83 000 dossiers encore en stock
Si l’objectif de 120 000 rénovations peut paraître ambitieux, il est immédiatement relativisé par un élément structurel : 83 000 dossiers sont encore en stock à la fin de l’année, en attente d’instruction. Ce volume pèse sur la capacité administrative de traitement et sur la capacité budgétaire à engager de nouvelles opérations dès 2026.
Pour certains observateurs, cet effet de « stock » risque de produire un véritable goulet d’étranglement. « Il va y avoir un bouchon total ! », alerte Jacques Baudrier, adjoint PCF chargé du logement à la Ville de Paris. L’élu appelle à doubler le budget de l’Anah pour répondre à la demande, en créant des recettes dédiées afin de sécuriser un financement stable et mieux dimensionné.
Pourquoi la situation s’est tendue : l’afflux de demandes dès fin 2024
Ce stock de dossiers non instruits est le symptôme d’une montée en charge rapide du dispositif. MaPrimeRénov’ pour les rénovations globales a connu un fort afflux de demandes à partir de la fin 2024, ce qui a conduit l’exécutif à adapter le pilotage en urgence.
Face à cette dynamique, le gouvernement a décidé de mettre en pause le dispositif de juin à septembre 2025 et de restreindre les règles d’octroi des subventions. Cette pause, motivée par l’objectif d’éviter l’épuisement des crédits et de reprendre la main sur le rythme des dossiers, a néanmoins eu des effets de déstabilisation : projets reportés, incertitudes commerciales pour les entreprises, ménages en attente de visibilité.
Pour 2026, l’Anah promet la continuité en ajustant les paramètres
Pour éviter une répétition du scénario 2025, l’Anah indique avoir « ajusté les paramètres pour garantir la continuité ». La principale mesure opérationnelle mise en avant est l’abaissement du montant maximal de subvention par dossier.
L’objectif de ce réglage est double :
- étaler l’effort budgétaire sur un plus grand nombre de ménages et de projets ;
- éviter une consommation trop rapide des enveloppes en cours d’année, qui mènerait à une nouvelle suspension.
Dans ce cadre, l’Anah assure à l’AFP disposer de « moyens conséquents pour répondre à la demande ». Reste que le niveau de la demande réelle — et sa concentration éventuelle sur les premiers mois de l’année — sera déterminant pour tester la solidité du dispositif.
Un pilotage territorialisé, avec suivi de la dynamique toute l’année
Autre levier annoncé : un pilotage plus fin à l’échelle locale. « Chaque territoire aura des objectifs et des moyens et il y aura un dialogue pour surveiller la dynamique tout au long de l’année », précise l’Anah.
Ce choix s’inscrit dans une logique de régulation : éviter une ruée simultanée, répartir l’effort dans le temps, et adapter les capacités d’instruction et d’engagement aux réalités régionales. En pratique, cette approche suppose une capacité de suivi en temps réel, des arbitrages rapides et des moyens d’instruction suffisants pour absorber les flux sans rallonger les délais.
150 000 rénovations par geste : priorité à la décarbonation du chauffage
En complément des rénovations globales, l’Anah prévoit d’aider 150 000 rénovations par geste, c’est-à-dire des travaux réalisés de manière isolée (un seul type d’intervention). L’agence annonce un « accent mis sur la décarbonation des modes de chauffage », en cohérence avec la nouvelle Stratégie nationale bas carbone (SNBC) de l’État.
Ce positionnement traduit une volonté d’orienter les aides vers les postes de consommation les plus émetteurs, et donc de maximiser l’effet climatique des financements. Ce recentrage suscite toutefois des débats récurrents au sein des filières (choix technologiques privilégiés, adaptation aux spécificités des logements et des territoires, accès des ménages aux solutions proposées).
Un budget de 4,4 milliards d’euros, dont 3,4 milliards pour la rénovation énergétique
Pour 2026, l’Anah annonce un budget d’aides aux particuliers de 4,4 milliards d’euros, dont 3,4 milliards d’euros consacrés à la rénovation énergétique. En valeur absolue, il s’agit d’une enveloppe importante, qui traduit la place centrale de la rénovation dans la politique du logement et de la transition énergétique.
Toutefois, la trajectoire budgétaire se caractérise par une recomposition des sources de financement :
- la contribution directe de l’État diminue, avec une baisse de 555 millions d’euros ;
- cette baisse est compensée par un recours accru aux certificats d’économies d’énergie (CEE), qui devraient abonder l’Anah de plus d’un milliard d’euros.
Ce basculement accroît le poids des CEE dans l’équilibre financier du dispositif. Il permet de limiter l’impact sur le budget de l’État, mais pose aussi la question de la stabilité et de la prévisibilité des recettes à moyen terme.
Les critiques : des moyens jugés insuffisants malgré les ajustements
Malgré l’affichage d’une continuité, certains experts estiment que l’équation reste fragile. Maxime Ledez, chercheur à l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE), rappelle que les crédits versés par l’État à l’Anah en 2025 « n’ont pas suffi à satisfaire toutes les demandes ». Selon lui, le montant réduit prévu en 2026 « ne suffira probablement pas davantage », même avec la baisse des plafonds de subvention et les ajustements de paramètres.
Cette critique renvoie à un débat de fond : l’adéquation entre les objectifs (massification de la rénovation, réduction de la précarité énergétique, trajectoire climatique) et les moyens (budgets, capacité administrative, disponibilité des entreprises et de la main-d’œuvre qualifiée).
Renforcement anti-fraude : contrôles à distance et sécurisation du dispositif
Enfin, le conseil d’administration a acté un renforcement de la lutte contre les tentatives de fraude, dans un contexte où la hausse des montants engagés et la complexité des dispositifs ont multiplié les risques de dérives. Parmi les mesures mentionnées figure notamment la possibilité de réaliser des contrôles physiques à distance.
Ce renforcement vise à sécuriser l’utilisation des fonds et à crédibiliser le dispositif. Il peut cependant générer un effet secondaire : des contrôles plus nombreux et plus systématiques peuvent aussi rallonger les délais d’instruction si les moyens humains ne suivent pas.
Conclusion : 2026, un test grandeur nature
Avec un objectif de 120 000 rénovations d’ampleur, une réouverture du guichet à tous les ménages et un budget annoncé à 4,4 milliards d’euros, l’Anah et le gouvernement affichent une volonté de continuité. Mais la réussite de 2026 dépendra de facteurs très concrets : vote du budget, capacité à résorber le stock de 83 000 dossiers, maîtrise de la dynamique de dépôts, et robustesse des moyens d’instruction et de contrôle. Pour les ménages comme pour les professionnels, l’année 2026 s’annonce comme un test de crédibilité et de soutenabilité pour la politique de rénovation énergétique.









